Sylvain Gouraud est photographe. Il s’immerge dans des univers où la question de la représentation joue un rôle essentiel. Auprès de milieux sociaux en manque de représentation d’abord où il interroge ce qui fait l’identité d’un migrant sans territoire, d’un patient en psychiatrie ou d’un détenu de la maison d’arrêt de Fleury Merogis. Chaque fois l’image fait controverse. À partir des photographies réalisées ou récoltées lors de ses recherches, il crée des paysages composites qui croisent les points de vue et font surgir des réflexions autour de la perception et de la représentation d’un territoire.
“Je monte depuis plusieurs années dans les montagnes au dessus de Digne. Je me rends souvent dans la vallée de l’Estoublaisse derrière le Montdenier. L’endroit est difficile d’accès, isolé, il faut monter 45 minutes sur la piste depuis Saint Jurs, les lignes électriques s’arrêtent bien avant le refuge qui me permet de passer quelques jours sur place. La vue y est imprenable, sans construction aucune à perte de vue, le ruisseau de l’Estoublaisse, les forêts de Levens et de Guichard alternent avec les prairies du Montdenier et les Roches à pic du Chiran. On y croise une multitude d’animaux et de fleurs, un véritable espace naturel. Naturel ? Qu’est ce que ça peut bien vouloir dire ? Les arbres ? Ils ont été plantés dans les années 60 pour « tenir » la montagne, Frederic Serre de l’ONF cherche maintenant à faire regagner les feuillus. Le ruisseau ? Il est entretenu par la société de pêche qui y cultive ses alevins. Les prairies alors ? Mais elles n’existent que parce qu’Alain le berger y fait paître ses brebis empêchant les pruneliers de gagner du terrain. Ce paysage qui nous semble vide et sauvage lorsqu’on arrive dans la vallée est en fait habité par de multiples âmes humaines et non humaines qui participent, chacune selon son intérêt, à façonner ce paysage. Pour autant peut on parler de paysage artificiel ? Cette distinction entre le naturel et l’artificiel est mal posée, elle ne nous permet pas de comprendre le monde qui nous entoure. Pour sortir de cette vision « moderne », il nous faut le décrire autrement avec d’autres codes, d’autres grilles de lecture. ” S.G.
Exposition à l'IDBL de Digne-les-Bains
Une terre dépeuplée depuis la Première Guerre mondiale, dont les rares habitants conservent aujourd’hui la mémoire et s’interrogent sur son avenir : la vallée de l’Estoublaisse, où Sylvain Gouraud, artiste photographe, revient régulièrement depuis plusieurs années. Un lieu difficile d’accès, sans construction aucune, où les ruisseaux et les forêts côtoient les prairies du Montdenier et les rochers du Chiran.
À partir des rencontres avec les différents acteurs de ce territoire, Sylvain Gouraud récolte des images et des récits qui lui servent à animer ce paysage. En faisant apparaître, par le retournement de certaines images, un ensemble d’interactions, l’artiste sort du panorama classique au point de vue unique et interroge la frontière artificielle et occidentale qui sépare les hommes de la nature.
L’exposition présentée dans la salle BILD de l’école d’art de Digne-les-Bains est une restitution de ce travail de recherche artistique in situ, qui a été finalisé avec un événement publique organisé dans la vallée de l’Estoublaisse, le 28 juillet 2019. Lors de cette journée, au terme d’une promenade collective dans la vallée, l’artiste active ce dispositif sous l’appentis jouxtant l’église de Majastres, dans un dialogue avec les habitants. À partir des images révélées, sa parole croise celle des usagers de la vallée, faisant surgir la complexité des connexions qui participent à façonner ce territoire.
Par le va-et-vient entre le détail et l’ensemble, Sylvain Gouraud interroge une situation spécifique en faisant émerger les enjeux qui relient le local au global. Les images deviennent des éléments déclencheurs de récits pour générer de nouvelles configurations, renverser les perspectives et questionner les pratiques au travers desquelles se construit un espace de cohabitation.
Giulia Pagnetti